Homélie du Père Charles Mallard – 14 novembre 2020

14 novembre 2020
Plaidoyer pour le maître des talents (archives)
Je ne prêche pas cette semaine … c’est l’occasion de ressortir des archives et de retrouver cette homélie de 1999.
33° Dimanche du Temps Ordinaire – Année A
Pv 31,10-13. 19-20.30-31 ; 1 Th 5,1-6 ; Mt 25,14-30
Je vais profiter du caractère connu de l’évangile d’aujourd’hui pour plaider une cause mal aimée. Oui, je voudrais défendre un homme que l’histoire et l’opinion publique a tendance à dénigrer, voire à accuser. Je voudrais défendre aujourd’hui le « maître des talents », et montrer combien est injuste la place que nous lui faisons dans notre cœur !
D’abord nous avons un peu tendance à considérer cet homme comme quelqu’un d’avare et de dur. On le prendrait presque pour l’exploiteur avide, l’ennemi du peuple. On en ferait facilement le patron des grands capitalistes impitoyables. Je crois que cela part d’un manque de compréhension. Cet homme part en voyage et confie à ses serviteurs cinq et deux et un talents, soit huit. Oui, mais voilà, on ne réalise plus très bien ce qu’est un talent ! Un talent c’est … pour employer le langage populaire … une « brique ». Un talent, ça représente 6 000 pièces d’argents, soit (puisqu’une pièce d’argent représente le salaire d’une journée) 16 ans de travail ! Ou encore (puisque 30 pièces d’argent, prix de la trahison de Judas, représentait la valeur d’un champ) avec un talent on peut acheter 200 champs ! Alors je vous en prie, n’accusons pas le maître de d’avarice : il est au contraire profondément généreux et confiant, et il a le droit de demander des comptes ! C’est sa fortune qu’il a confiée à ses serviteurs.
Ensuite, on susurre que le maître des talents serait trop exigeant. Il aurait des prétentions exagérées ! Là encore je m’insurge … Jésus ne nous dit pas le temps qu’il a fallu pour faire fructifier l’argent confié. La seule chose qui est dite c’est « longtemps après ». Mais nous savons qu’il a été possible de doubler les cinq talents et les deux talents. Même si l’argent appelle l’argent, il avait confié sa fortune « à chacun selon ses capacités » et il ne demandait pas au troisième serviteur de doubler la mise, il lui demandait simplement de le placer à la banque. Ce qui, dans l’hypothèse d’un système économique juste représente simplement la conservation de la somme malgré l’inflation. En lui rendant un talent longtemps après, le serviteur a rendu moins que ce qu’il avait reçu ! Alors qu’on ne prétende pas que le maître demande trop : il sait bien ce que valent ses serviteurs, et il leur demande ce qu’ils peuvent … (de mieux bien sûr). Va-t-on lui reprocher d’avoir une vision positive et optimiste des siens ? En vérité, à son retour le maître a été déçu par le troisième serviteur, il pensait obtenir mieux qu’un talent sale, plein de terre et vieilli par le temps !
Enfin on s’insurgerait contre l’injustice de sa réaction. Ce serait trop que de jeter dehors le serviteur « bon à rien ». Mais c’est lui-même qui s’est jeté dehors. C’est lui qui a eu peur du maître et qui s’est mis dans une attitude d’esclave. Alors que le maître lui confiait 16 ans de salaire, il a eu peur. Il a répondu à la confiance par la peur. Et puisqu’il pensait que le maître récolte où il n’a pas semé, pourquoi enterrer l’argent ? Ça ne pousse pas dans la terre ! On ne lui reproche pas d’avoir été mal habile, on lui reproche de n’avoir pas voulu être un bon serviteur … on lui reproche de n’avoir pas cherché à imiter le maître. Comment le maître pourrait-il garder avec lui quelqu’un qui a peur de lui ? Comment pourrait-il garder quelqu’un qui ne veut pas entrer dans la logique de la maison ? Comment pourrait-il continuer à imposer au serviteur une situation qu’il ne veut pas : pendant tout le temps du voyage du maître, le serviteur ne s’est absolument pas préoccupé des biens de son maître … qu’a-t-il fait ? Ce n’est pas dit, mais on peut imaginer qu’il a trouvé un métier, ou un autre maître … Dans tous les cas il a abandonné les affaires de l’homme dont on parle … Alors il est normal qu’on le jette dehors : il y est déjà et c’est lui qui s’y est mis.
Voilà quelques éléments que je voulais souligner pour réhabiliter le maître des talents. Mais, j’ai bien peur d’être un médiocre avocat … Et puis il y a un obstacle en nos cœurs : c’est que nous aurions facilement tendance à nous identifier au dernier serviteur. Alors évidemment, ça ne fait pas notre affaire que Dieu soit juste. C’est plus facile d’accuser Dieu que de se remettre en question !
Et pourtant … A-t-on déjà réalisé tout ce que Dieu nous a confié ? Notre vie, les gens que nous rencontrons, les gens que nous aimons, le monde, sa Parole … Dieu n’a pas été mesquin, il nous a tout confié … et même aux plus incapables d’entre nous, il a remis une fortune ! C’est vrai que c’est plus simple et moins dérangeant de mépriser le don de Dieu et de se croire sans talents. Si par honnêteté nous réalisions que Dieu nous a tout donné.
Et puis que faisons-nous des dons de Dieu ? Est-ce que nous cherchons à améliorer le monde ? Est-ce que nous cherchons à faire entendre l’Évangile ? Est-ce que nous cherchons le bonheur de ceux que nous fréquentons ? Est-ce que nous cherchons à faire de notre vie une merveille à la hauteur de Dieu ? Si nous réalisions que Dieu nous croit capables de grandes choses …
Mais pour cela, il faut encore être dans une relation de confiance et de foi … Est-ce que nous continuons à avoir peur de Dieu ? Est-ce que nous accepterons d’agir à la manière de Dieu au lieu d’attendre son retour en vacant à tout autre chose ? L’amour bannit la peur nous dit saint Paul, comment regardons-nous le Seigneur ? Si nous nous souvenions de l’invitation de Jean Paul II au début de son pontificat : « n’ayez pas peur, ouvrez tout grand les portes de vos vies au Christ »
Alors, avec ou sans ma pauvre plaidoirie, reconsidérons l’opinion que nous avons du maître des talents et nous découvrirons que le Seigneur a fait en nous des merveilles. N’ayons pas peur cela risque de changer notre vie !