Père Charles Mallard-Donner pour recevoir ou recevoir pour donner

Donner pour recevoir ou recevoir pour donner
25° Dimanche du Temps Ordinaire – Année C
Am 8,4-7 ; Ps 112 ; 1 Tm 2,1-8 ; Lc 16,1-13
Pourquoi Jésus qualifie-t-il systématiquement l’argent de « malhonnête » ? L’ancienne traduction liturgique disait « trompeur », et l’on pourrait aussi traduire par « injuste ». Ainsi donc, d’après Jésus, l’argent n’est pas ce qu’il semble être ou ce qu’il devrait être. Il devrait faciliter les échanges et les relations, mais en fait il nous entraîne dans une logique profondément faussée, et même contradictoire avec celle que nous propose le Seigneur.
On sait déjà que dans les relations il peut y avoir deux options : prendre ou donner. Et l’on sait que la Parole de Dieu nous invite à préférer le don plutôt que la prise. Le problème avec l’argent c’est que, d’une certaine manière, il déguise la prise en don. Plus exactement il nous apprend à donner pour recevoir. C’est la dynamique économique : l’un donne de l’argent pour recevoir un service, et l’autre donne un service pour recevoir de l’argent. Mais par cet échange le don crée une obligation et l’autre me doit quelque chose. Donc, si je donne, j’ai droit … ce qui n’est pas tout à fait la mentalité du don que nous propose l’évangile. Car si le Christ a donné sa vie pour nous, ce n’est pas pour nous obliger ! La dynamique spirituelle à laquelle nous invite le Seigneur est en vérité l’inverse de la dynamique économique : elle ne propose pas de donner pour recevoir mais de recevoir pour donner.
Et voilà ce qu’il y a de malhonnête dans l’argent, ce qu’il y a de trompeur ou d’injuste : c’est qu’il nous habitue à des relations dans le mauvais sens. Il nous fait croire qu’il faut donner pour recevoir, alors qu’il faut recevoir pour donner. Ainsi notre cœur fonctionne à l’inverse de ce pour quoi il est fait : on est attentif à ce qu’on donne au lieu d’être reconnaissant de ce que l’on reçoit ; on croit que le don nous ouvre un droit, alors qu’il est plutôt de l’ordre du devoir. Aussi lorsqu’on ne reçoit pas ce qu’on attend, on est mécontent et déçu au lieu de s’émerveiller de l’inattendu dans la relation. Bien sûr il ne s’agit pas d’accepter n’importe quoi et de se faire avoir par le premier margoulin venu ! D’ailleurs Jésus, dans l’évangile ne dit pas de supprimer l’argent ou de s’en passer. Mais il ne faut pas prendre l’argent pour modèle de nos relations … spécialement pour les relations amicales et spirituelles.
Par exemple, comme concevons-nous notre prière ? Il est juste de demander … c’est même le premier sens du mot, mais demander ne crée pas d’obligation. Or souvent, nous pensons que Dieu doit exaucer notre prière, puisque nous lui avons donné du temps, de l’énergie ou de l’argent. Penser que prier consiste à donner pour recevoir, c’est confondre la prière et la magie. La prière consiste d’abord à recevoir de Dieu, à reconnaître ce que nous recevons du Seigneur, à se laisser bouleverser par son amour et sa générosité pour ensuite en vivre et en rayonner. L’origine de la prière ce n’est pas nous, c’est Dieu ; celui qui fait le premier pas, ce n’est pas nous, c’est Dieu.
De la même manière, dans le témoignage il ne s’agit pas de donner des leçons ni même de donner un exemple pour recevoir la vie éternelle ou la considération du Seigneur ; dans l’étude de la parole de Dieu, il ne s’agit pas de rechercher la confirmation de nos idées ou la justification de nos habitudes, mais de se laisser abreuver par la source d’eau vive, de se laisser enseigner par la Parole de Dieu, et l’on ne fait que partager ce que l’on a reçu : le prophète est toujours le premier destinataire de la conversion qu’il annonce, l’évangélisateur est toujours le premier concerné par son message.
Et encore dans l’engagement et le service, combien de fois il nous arrive de nous décourager parce que nous n’obtenons pas de notre dévouement la récompense ou au moins la reconnaissance qu’on pense mériter ? On se fatigue quand le résultat n’est pas à la hauteur de nos espérances. Saint Ignace, dans la prière qu’affectionne les scouts, nous indique le bon état d’esprit du service et de l’engagement « sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté ». L’amour qui donne pour recevoir, finit par épuiser ou attrister, celui qui épanouit, c’est celui qui sait partager ce qu’il a reçu.
Nul ne peut servir deux maîtres dit Jésus, parce que Dieu et l’argent ont deux logiques différentes : le serviteur de l’argent devient son esclave car il est à la merci de ce qu’il reçoit, tandis que le serviteur de Dieu devient son ami puisqu’il rayonne de ce qu’il a reçu.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à reconnaître la dynamique spirituelle, sans nous laisser égarer par la logique de l’argent. Arche de la Nouvelle Alliance qu’elle nous montre comment faire toujours plus de place au Don de Dieu. Miroir de la Sainteté de Dieu qu’elle nous entraîne à resplendir de ce que nous avons reçu pour que nos cœurs battent au rythme du cœur de Dieu et que nous demeurions en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.