Père Charles Mallard-Les quatre sens de l’Ecriture

Les quatre sens de l’Ecriture
27° Dimanche du Temps Ordinaire – Année C
Ha 1,2-3 : 2,2-4 ; Ps 94 ; 2 Tm 1,6-8.13-14 ; Lc 17,5-10
Il peut y avoir quelque chose de déconcertant dans l’évangile du jour, outre qu’on ne voit pas très bien le rapport entre les deux parties du texte que nous avons entendu, la réponse de Jésus aux apôtres qui lui demandent « augmente en nous la foi » nous laisse perplexes, surtout avec l’histoire de l’arbre qui va se planter dans la mer. J’avoue avoir eu la tentation de commenter surtout les autres textes qui méritent bien qu’on les médite. Mais la stratégie de fuite aurait été un peu évidente et je ne voudrais pas qu’on croit que je me dérobe à la Parole de Dieu ! Alors je me suis rappelé que l’Ecriture est plus un accord qu’une note et que les pères de l’église avaient coutume de dire qu’il y a au moins quatre sens à un texte, et je me suis dit que ce serait une belle aventure que d’essayer de les explorer sur cet évangile.
Le premier sens est le sens littéral : on lit attentivement le texte pour comprendre ce qu’il nous raconte. Les disciples demandent à Jésus qu’il augmente leur foi, et sa réponse semble dire que leur foi n’est même pas grosse comme une graine de moutarde, ce qui n’est déjà pas beaucoup. « Si vous aviez la foi … vous auriez dit à l’arbre … et il vous aurait obéi ». Un peu comme s’il leur disait vous me demandez d’augmenter ce que vous n’avez pas ! Et c’est vrai, qu’à ce moment-là de l’évangile, les disciples n’ont pas la foi, mais ça n’est pas de leur faute : le Christ n’est pas encore ressuscité … comment pourraient-ils croire puisque la foi vient de la Résurrection ? Ainsi l’on peut comprendre que la foi n’est pas une qualité accessoire, mais une attitude de l’homme devant la Révélation, elle n’est pas une capacité que l’on entretient mais une aventure dans laquelle on s’engage.
Cependant, nous qui lisons ce texte, nous nous sommes engagés, par le baptême à la suite du Christ ressuscité, et – avec toute la modestie qui convient – nous pouvons dire que nous avons reçu la foi. D’où l’importance du deuxième sens, le sens spirituel, qui nous enseigne comment vivre avec Dieu. On peut alors penser qu’au-delà de l’image – un peu exagérée il faut le reconnaître – d’un arbre qui va se planter dans la mer, Jésus veut surtout nous encourager à vivre notre foi avec audace et confiance dans la puissance de Dieu. « Rien n’est impossible à Dieu » disait l’ange à Marie lors de l’Annonciation. Jésus nous invite donc à partager, par la foi, le regard du Seigneur sur le monde. La suite de l’évangile vient toutefois ajouter une nuance d’importance : nous ne sommes que des serviteurs : si la foi peut faire des miracles, ce n’est pas à cause de nous mais à cause de Dieu. Il ne s’agit pas d’épater la galerie ou de satisfaire nos caprices, mais de faire ce que le Seigneur attend de nous.
Ainsi puisque le but de la foi n’est pas le spectaculaire mais la volonté de Dieu, on comprend que l’image de l’arbre qui va se planter dans la mer a surtout une portée symbolique. Et nous pouvons alors rechercher le sens moral, celui qui nous dit ce qu’il faut faire. Un arbre planté dans la mer ne va pas durer très longtemps ; lui commander d’y aller revient à lui dire de dépérir. Or le mot grec désigne un murier. Cet arbre qui fait une belle ombre, mais sous lequel rien ne pousse … et qui laisse ensuite des fruits qui tâchent et salissent partout où l’on va quand on a le malheur d’être passé dessous. Les pères disent que c’est un arbre trompeur, aux belles fleurs blanches qui virent au rouge sang puis au noir. Saint Ambroise y voit le symbole du démon, et l’on comprend alors que la foi implique de déraciner et d’extirper de nos vies les illusions du tentateur. Il n’y a pas de foi sans combat spirituel. Voilà pourquoi saint Paul recommandait à Timothée de raviver le don de Dieu, de s’attacher à l’esprit reçu qui n’est pas un esprit de peur mais de force, d’amour et de pondération.
Il y a encore un quatrième sens, le sens mystique, qui nous introduit dans le cœur de Dieu et dans la vie divine. Or l’arbre peut aussi être le symbole de la vie, comme celui qui était au centre du jardin des origines, et l’on sait que dans la symbolique biblique la mer représente la mort. Ainsi planter un arbre dans la mer signifie faire jaillir la vie de la mort. On est au cœur de la dynamique pascale et l’on comprend que par le pardon, la foi permet à l’arbre de la paix de fleurir au cœur de la mer des conflits ; par l’engagement, la foi plante l’arbre du don de soi dans l’océan de l’égoïsme ; et comme le rappelait Habacuc dans la première lecture, par la fidélité, la foi commande à l’arbre de la justice de se planter dans la mer des émotions.
En répondant aux disciples Jésus ne vient pas nous inciter à faire des choses absurdes et inutiles, mais il nous invite à la foi en restant serviteurs de la Parole de Dieu, il nous encourage à entrer dans le combat spirituel, il nous entraîne sur le chemin du salut qu’il a ouvert par sa Pâque.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Miroir de la sainteté de Dieu, qu’elle nous apprenne la confiance ; Refuge des pécheurs, qu’elle fortifie notre choix ; Porte du ciel, qu’elle soutienne notre fidélité pour que nous puissions vivre selon le cœur de Dieu et demeurer en Lui comme il demeure en nous dès maintenant et pour les siècles des siècles.