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Père Charles Mallard-Messe de la Cène du Seigneur : L’eucharistie comme un accord musical

1 avril 2021

L’eucharistie comme un accord musical

Messe de la Cène du Seigneur

Ex 12, 1-8.11-14 ; Ps 115 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13,1-15

En ce jour-là, avant la fête de la Pâques, la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain … et nous connaissons bien l’histoire, puisque nous la revivons à chaque messe, que nous sommes rassemblés précisément pour nous souvenir de ce dernier repas, et si certains avaient encore quelques faiblesses de mémoire, nous en avons entendu le récit dans la deuxième lecture.

Ce repas – la première lecture le rappelait – était un mémorial. Il s’agissait de se souvenir du dernier repas du peuple en Égypte, avant qu’il ne se lance dans la grande aventure de l’Exode. Au cours de ce repas – c’est ce que rapportait l’évangile – Jésus a fait un autre geste, dont il nous demande aussi de garder la mémoire : celui du lavement des pieds. Ainsi résonnent les différentes dimensions de l’Eucharistie, comme les différentes notes d’un accord.

D’abord il s’agit d’un mémorial, d’une tradition. C’est-à-dire que l’on s’inscrit dans une histoire qui nous précède. Comment, dans cette cathédrale, ne pas être sensible à cette dimension ? En ce lieu depuis au moins neuf siècles, et sans doute même depuis seize, inlassablement, l’eucharistie est célébrée. Une tradition, c’est ce que décrit saint Paul : « je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu », comme une grande chaîne qui se déploie d’âge en âge pour répondre au commandement du Seigneur « faites ceci en mémoire de moi » et reconnaître ainsi l’amour de Dieu qui nous sauve. Cette dimension est importante, elle donne le sens, comme la première note donne le ton. Si le mystère est remis entre nos mains, nous n’en sommes pas propriétaires, nous sommes dans cette double situation de recevoir et de transmettre. Comme pour nous décentrer de nous-même sans nous effacer. Une manière d’élargir notre horizon pour éviter de penser que notre relation à Dieu est une affaire privée qui ne regarde que nous.

Ensuite il s’agit d’un engagement. Si saint Jean rappelle le geste du lavement des pieds, si son récit est l’évangile de ce jour, c’est que cette dimension de service – de diaconie pour reprendre un terme qui nous est cher – est aussi un élément important. On pourrait dire que c’est la note qui donne du corps au mystère. Car le service n’est jamais abstrait et notre disponibilité à faire passer l’intérêt des autres avant notre confort, est la mesure de la sincérité de notre attachement au Seigneur. Il y a une histoire dont j’aime bien me souvenir. Au Moyen Age les franciscains avaient l’habitude de laver les pieds des mendiants à la porte de l’église. Un jour, un évêque en visite chez eux, a voulu se joindre à eux et faire lui aussi ce geste. Mais celui à qui il lavait les pieds lui dit : « laisse donc faire le frère, il lave mieux que toi » ! Ce n’était peut-être pas très respectueux de l’évêque, et sans doute injuste pour la bonne volonté du prélat, mais ça nous rappelle qu’un service n’est pas symbolique : c’est un acte concret avec lequel on ne triche pas. Sans doute y a-t-il différents moyens de rendre service. Il n’en reste pas moins que si l’on pense que l’Eucharistie est une sorte de parenthèse mystique qui ne change rien dans notre vie, alors c’est qu’on est passé à coté de l’essentiel.

Enfin, il y a une troisième dimension dans ce mystère qui nous met en présence de l’amour divin, c’est la note qui donne le rythme : l’Eucharistie se manifeste sous le signe de la nourriture. Repas pris à la hâte pour le peuple qui s’apprête à quitter l’Égypte ; pain et le vin qui sont le corps et le sang du Christ. Cela nous indique sans doute qu’il s’agit d’un mystère dont on ne peut se passer, mais cela nous dit surtout qu’on ne l’accueille pas une fois pour toutes, et qu’il faut le renouveler régulièrement. Les amoureux savent bien qu’une seule déclaration ne suffit pas à assurer l’éternité de leur sentiment ; de la même manière l’Eucharistie nous rappelle qu’une grande émotion ne suffit pas à assurer la fidélité dans la foi. Si l’on ne veille pas à renouveler régulièrement notre lien au Seigneur, alors la tradition devient routine, et la routine devient mécanisme, ce qui finit toujours par s’arrêter. De la même manière si l’on ne revient pas régulièrement à la source de notre engagement, le service devient pouvoir et le pouvoir devient mainmise ce qui finit par être insupportable. Et encore, si l’on oublie que l’Eucharistie est nourriture, le don de Dieu devient un droit que l’on revendique et qui nous fait perdre le goût de l’amour.

En entrant dans ces jours saints, laissons-nous guider par les paroles du Seigneur pour laisser résonner en nous le mystère que nous célébrons. Qu’il nous rappelle ce que Dieu nous a donné, ce qu’il attend de nous et qu’il nous donne la force de persévérer.

Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Mère de l’Église, qu’elle nous garde fidèles à la communion des saints ; Consolatrice des affligés, qu’elle ouvre nos cœurs aux dimensions du cœur de Dieu ; Arche de la Nouvelle Alliance, qu’elle nous maintienne vigilants à la présence de celui qui nous invite à la suivre jusqu’à la Gloire qui resplendit dans les siècles des siècles.

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