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Père Charles Mallard-Trois anomalies

24 octobre 2021

Trois anomalies

30° Dimanche du Temps Ordinaire – Année B

Jr 31,7-9 ; Ps 125 ; He 5,1-6 ; Mc 10,46b-52

Après des évangiles un peu exigeants, où Jésus souligne les difficultés du Royaume en donnant des leçons aux uns et aux autres, voilà enfin un texte reposant : la guérison de l’aveugle à la sortie de Jéricho. Enfin une histoire réjouissante, où tout est bien qui finit bien. Même saint Marc, d’habitude plutôt sobre, se donne la peine de quelques détails pittoresques pour agrémenter le récit. Il semblerait qu’il n’y ait rien de compliqué et l’on retrouve la simplicité des miracles de Jésus. Pourtant sans vouloir trouver des difficultés là où il n’y en a pas, on aurait tort d’écouter cet évangile d’une oreille distraite. On peut remarquer en effet quelques anomalies dans le déroulement de la scène. Y prêter attention, c’est un bon moyen de s’assurer que nous nous laissons instruire par la parole de Dieu.

Tout d’abord, il y a le rôle de la foule. Elle accompagne Jésus et c’est sans doute le bruit de son déplacement comme le brouhaha des conversations qui avertissent Bartimée de ce qui est en train de se passer. Évidemment, puisqu’il est aveugle il ne peut pas savoir qui passe sur le chemin devant lui. Pourtant la même foule qui lui fait connaître la présence du Seigneur fait obstacle à sa prière : « des gens le rabrouaient pour le faire taire ». Peut-être que les cris de l’aveugle les empêchaient-ils d’entendre ce que disait le Jésus, peut-être trouvaient-ils inconvenant de déranger le maître dans sa route. Ces gens ne sont sans doute pas méchants, mais ils sont cruels ! Voilà déjà une question qui nous est posée : est-ce qu’il ne nous arrive pas d’empêcher la rencontre avec celui que nous annonçons ? On pense aux péchés de certains qui rendent odieuse la foi chrétienne à ceux qu’ils blessent. Malheureusement, le contre-témoignage n’est pas réservé aux situations dramatiques. L’attitude de la foule sur le chemin de Jéricho nous invite à vérifier que garder les yeux fixés sur le Christ ne nous empêche pas d’entendre l’appel de ceux qui souffrent. Soyons plus attentifs à relayer leur prière qu’à leur donner des leçons.

Heureusement, cette attitude ne dure pas, et la persévérance de Bartimée finit par arriver aux oreilles de Jésus. Et là, il y a une deuxième chose étonnante : Jésus ne s’adresse pas à lui, mais à la foule. Il ne dit même pas « faites-le venir », mais « appelez-le ». Ainsi l’appel du Seigneur est confié à ceux qui l’entourent. Et la parole adressée à la foule va transformer cette foule, puisque d’obstacle elle devient relais : « confiance, lève-toi, il t’appelle ». C’est une belle image de l’église qui se trouve dépositaire de la parole de Dieu, pour la faire résonner. Trop souvent on rêve d’un rapport personnel entre Dieu et nous, comme si l’Église n’avait rien à voir avec la vie spirituelle. Il est vrai qu’il y aura une rencontre personnelle entre Bartimée et Jésus, mais dans un premier temps c’est au cœur de la communauté que retentit l’invitation. Et si ensuite l’homme suit Jésus sur le chemin, cela signifie qu’il rejoint le groupe de ceux qui l’accompagnent. Il ne faut pas opposer l’Église et la vie spirituelle : elle est ce qui la rend possible et ce qui la déploie. On pourrait dire que l’Église est à la foi ce que l’eau est au poisson.

Il y a encore une autre chose qui peut nous surprendre. L’aveugle mendiant assis sur le bord de la route « jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus ». Dans un premier temps, on trouve ça normal : c’est l’enthousiasme de la situation. Mais si l’on prend la peine de se mettre à la place de Bartimée, si l’on imagine ce que cela signifie, quand on est aveugle, de bondir et de courir vers Jésus au milieu de la foule, on peut comprendre l’inconfort de la situation ! Est-ce que ça n’aurait pas été plus simple que Jésus s’approche de lui ? C’est que bien souvent, on trouve normal que ce soit Dieu qui fasse tout. Certes, providentiellement Jésus a l’initiative puisqu’il passe sur le chemin où se trouve Bartimée, et c’est encore Jésus qui prend l’initiative de la rencontre, mais il n’y a pas de rencontre si l’on ne se bouge pas, si l’on ne s’expose, si l’on ne prend pas de risque pour répondre à l’appel du Seigneur. La dynamique de vocation n’empêche pas la nécessité de l’engagement. Il faut tenir que tout commence avec Dieu, mais que rien ne se passe sans nous. Les paroles de Jésus sont d’ailleurs remarquables : « ta foi t’a sauvée », comme s’il remettait sa puissance entre les mains de l’homme. Comme si l’efficacité de la grâce dépendait de la disponibilité de notre cœur.

En nommant Bartimée, alors qu’en général il ne donne jamais le nom de ceux que Jésus guérit, saint Marc nous rend l’histoire plus proche pour que nous puissions mieux nous en souvenir. Ainsi il nous est plus facile d’être attentifs à ne pas faire obstacle à la rencontre de celui que nous annonçons, ainsi nous sommes encouragés à faire retentir la parole que nous avons reçu ; ainsi nous sommes avertis de l’importance de nous exposer pour répondre à l’invitation du Seigneur.

Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Consolatrice des affligés qu’elle ouvre nos oreilles à la peine des hommes comme nos yeux sont ouverts à la présence du Christ. Miroir de la sainteté de Dieu qu’elle nous apprenne à servir l’Évangile pour qu’il puisse parvenir jusqu’à ceux qui l’attendent. Reine des Saints qu’elle nous encourage à jeter le manteau de nos conforts pour rejoindre celui qui nous appelle et que nous puissions ainsi demeurer en lui, comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.

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