Père Charles Mallard-Vendredi Saint : Chemin de Croix

Chemin de Croix
De rumeurs en conciliabules, de polémiques en complots, Jésus est finalement arrêté, jugé par le sanhédrin, par Hérode, par Pilate. Procès sous influence où la justice compte moins que la politique … la question n’est pas tant de savoir s’il est coupable, mais de savoir comment obtenir ce qu’on a décidé … Jésus avait refusé de condamner la femme adultère prise en flagrant délit, lui est condamné sans le moindre témoignage cohérent !
Mais il n’y a pas besoin d’une institution pour être injuste. Combien de jugements hâtifs, de condamnations sommaires lors de nos conversations. Il y a des commentaires plus sévères qu’une sentence, il y a des regards plus cruels qu’un verdict.
Trop souvent, Seigneur, nous sommes guidés par le qu’en dira-t-on, trop souvent nous préférons suivre l’esprit du monde plutôt que ta parole.
Toi qui rejoins ceux qui souffrent de l’injustice, de la calomnie, de l’exclusion, montre nous la voie du courage, soutiens-nous dans la fidélité qui libère.
C’est la coutume que le supplicié porte l’instrument du supplice, comme c’est la coutume que les soldats s’amusent avec le condamné avant d’exécuter la sentence. Comme si la mort ne suffisait pas, comme s’il fallait rajouter de la souffrance à la souffrance. Jésus avait guéri les malades, purifié les lépreux, libéré ceux qui étaient tourmentés par des esprits mauvais : lui qui avait soulagé tant d’accablés, le voilà accablé par les moqueries, les humiliations … et le poids de la croix
S’il faut porter sa croix pour être son disciple, nous voilà bien au moment décisif. C’est le moment où l’on doit choisir son camp : avec ou contre. Il n’y a pas de troisième catégorie : les spectateurs seront du côté des bourreaux !
Trop souvent, Seigneur, nous prenons le parti des rieurs, celui de la dérision, trop souvent nous infligeons des souffrances à ceux qui nous entourent, sans prendre soin, sans faire attention.
Pardon Seigneur pour toutes nos moqueries, pour nos insouciances.
Toi qui rejoins les humiliés, les méprisés, montre-nous le chemin de la délicatesse, guide-nous dans les épreuves de la vie.
La croix est trop lourde, le chemin trop difficile. Jésus ne sauvera pas la face en résistant jusqu’au bout, héroïque jusqu’à l’inévitable. Il ne sera pas un condamné superbe qui triomphe de ses bourreaux par la noblesse de sa force. Il sera un condamné ordinaire, banalement épuisé, brisé par l’épreuve comme tout le monde. Debout dans la nuit, il traversait la tempête en marchant sur les eaux, le voilà maintenant agenouillé dans la poussière
Il semblerait que la faiblesse fasse partie de notre condition humaine. Comme une limite à notre volonté, comme parfois même la limite de notre volonté … mais l’important n’est-il pas de se relever plutôt que de ne pas tomber ?
Trop souvent, Seigneur, nous nous laissons emporter par l’excès : nous ne résistons pas à la tentation et le péché nous fait chuter. Trop souvent nous abdiquons et nous baissons les bras.
Pardon, Seigneur, pour tous nos manques de discernement et de prudence.
Toi qui rejoins le pécheur abattu, celui qui se méprise à cause de sa faiblesse, montre-nous la puissance de la miséricorde, apprends-nous à nous relever quoiqu’il arrive.
La première des rencontres sur le chemin de croix est avec Marie. Enfin un visage bienveillant, enfin une rencontre amicale. Après ce déchainement d’hostilité, de haine et de cruauté, c’est sans doute un soulagement que de croiser le regard de sa mère. Mais c’est une consolation aigre-douce que de lui infliger ce spectacle. Qu’en penseraient Jaïre ou la veuve de Naïm ? Qu’en penseraient le fonctionnaire de Capharnaüm et tous ces parents à qui Jésus rendait leurs enfants ?
Quel paradoxe que l’amour ! Ceux qui nous protègent le plus sont ceux que nous faisons le plus souffrir ; ceux qu’on aime le plus sont ceux auprès de qui on est le plus vulnérable. L’accepter, c’est peut-être le secret de l’amour !
Trop souvent, Seigneur, nous nous attachons à ce que les autres nous apportent plutôt qu’à ce que nous pouvons leur donner. Trop souvent nous négligeons nos proches, ceux qui nous aiment.
Pardon, Seigneur, pour toutes les atteintes à la famille, pour les attachements trop possessifs, pour les conflits trop violents, pour les oublis trop rapides.
Toi qui rejoins ceux qui souffrent de n’être pas ce qu’on attend d’eux, montre-nous le chemin de la bienveillance, soutiens les familles éprouvées.
Deuxième rencontre : Simon, originaire de Cyrène dans l’actuelle Lybie. Il n’aide pas Jésus spontanément : on le réquisitionne alors qu’il revient des champs. N’y avait-il donc personne pour assister Jésus ? Où sont passés ceux qui le suivaient et l’écoutaient ? Pourtant on connaît les fils de Simon : Alexandre et Rufus sont sans doute devenus chrétiens. Mystérieuse fécondité de cette disponibilité : celui qui a suivi dans la passion a suivi aussi dans la gloire.
Il faut croire que ce n’est pas parce qu’on écoute qu’on aide, mais plutôt parce qu’on aide qu’on écoute. C’est une nouvelle humiliation pour Jésus que d’avoir besoin d’un autre, mais c’est en nous implorant que Dieu ouvre notre cœur.
Trop souvent, Seigneur, nous passons à côté de ceux qui ont besoin de nous. Pas le temps, pas les moyens, pas compris … tous les prétextes sont bons pour excuser nos indifférences. Trop souvent nous nous protégeons contre la souffrance des autres.
Pardon, Seigneur, pour nos égoïsmes
Toi qui rejoins, tous ceux qui sont obligés de demander, ceux qui sont humiliés par la dépendance, ouvre nos cœurs à tes appels, augmente notre dévouement et notre générosité.
Troisième rencontre : après Marie, après Simon, une femme essuie le visage plein de sueur et de sang de Jésus. Enfin quelqu’un a pitié de celui qui se laissait émouvoir par les foules perdues comme des brebis sans berger. Un acte tout simple, qui manifeste ce qu’il y a de plus grand dans le cœur de l’homme : la compassion. Et sur ce linge de miséricorde s’imprime la face du Seigneur, comme pour intriguer des générations de savants et consoler ceux qui souffrent
Autrefois on ne pouvait pas voir la face de Dieu sans mourir, et voilà que cette face se donne à voir dans celui qui souffre. C’est peut-être plus difficile à reconnaître, pourtant un monde sans pitié n’est pas vivable, une vie sans pitié n’est pas digne de nous.
Trop souvent Seigneur nous manquons de compassion : c’est si facile de penser qu’il n’a que ce qu’il mérite ! Trop souvent nous avons un cœur de pierre, refusant de nous laisser attendrir.
Pardon Seigneur pour nos jugements hâtifs, pour nos condamnations sans appels.
Toi qui rejoins ceux qui mendient un peu de considération, adoucis nos cœurs et nos regards, inspire nous le geste ou la parole qui soulage.
L’aide de Simon n’a pas suffit, et Jésus tombe une deuxième fois. Tomber une fois, c’est un accident, ça peut arriver, on tolère, c’est normal ! Mais deux fois, ça devient une habitude, il n’y a pas de raison que ça ne recommence pas ! Combien de fois cela va-t-il durer ? Combien de temps faudra-t-il supporter cette faiblesse ? Jusqu’à sept fois ? Jusqu’à soixante dix sept fois sept fois disait Jésus en répondant à la question de Pierre sur le pardon.
Comme l’amour, le pardon peut progresser. On comprend bien qu’un coup de foudre aspire à durer pour l’éternité ; on sait bien que quand on aime, on ne compte pas … Pourquoi alors, compter notre miséricorde ?
Trop souvent, Seigneur, nous refusons de pardonner et nous nous drapons dans notre dignité d’offensés. Trop souvent nous prétextons que nous avons souffert pour faire souffrir.
Pardon Seigneur pour nos manques de patience et pour nos lassitudes.
Toi qui rejoins ceux qui retombent et ceux qui désespèrent, apprend nous la grandeur d’âme, donne nous la douceur et la sérénité qui permettent de répondre au mal par le bien.
Les paroles de Jésus sont dures pour ces femmes qui semblaient compatir … mais peut-être les lamentations sont-elles un peu formelles : ça se faisait d’avoir des pleureuses sur le bord du chemin, ça faisait partie du décor. Pourtant le plus grand drame n’est pas celui de Jésus, mais celui de ceux qui l’ont condamné. Si l’on punit l’innocent, comment le coupable sera-t-il traité ? Plutôt que de pleurer sur la paille dans l’œil du voisin, ne faut-il pas pleurer sur la poutre dans notre œil ?
On a tendance à se lamenter des autres et à se réjouir de soi-même, peut-être qu’il faudrait plus se réjouir des autres et savoir se lamenter sur soi-même, non pas pour se faire plaindre, mais pour se convertir.
Trop souvent Seigneur nous regardons les autres de haut, nous méprisons ceux qui n’ont pas autant de chance que nous. Trop souvent notre compassion est de la condescendance.
Pardon Seigneur pour notre orgueil et notre inconscience.
Toi qui rejoins tous les incompris, tous ceux qu’on n’écoute pas, ouvre en nous la porte de l’humilité qui permet d’accueillir ta parole, dispose nous à l’esprit de vérité qui nous guide vers la vérité toute entière.
Comme en écho du triple reniement de Pierre, Jésus tombe pour la troisième fois. Cela paraît inévitable : à peine debout, il retombe. Le poids de la croix symbolise le poids du péché qui nous écrase inexorablement. Cette faiblesse désespérante contre laquelle on reste impuissants. Impuissants comme l’infirme rencontré à la piscine de Bethesda : toujours à coté, mais jamais le premier à plonger dans le bouillonnement. Et Jésus qui lui demande « veux-tu guérir ? »
S’agit-il de vouloir ou de pouvoir ? Tout ce bien qu’on voudrait faire et qu’on ne fait pas, tout ce mal qu’on voudrait éviter et qu’on fait quand même. Accepter de ne pas renoncer, de vouloir même quand on ne peut pas, c’est le secret de la foi.
Trop souvent Seigneur nous sommes enchaînés par nos péchés, inexorablement nous retombons. Trop souvent, Seigneur, nous confessons les mêmes fautes … et toi Seigneur, tu les pardonnes autant de foi qu’il faut.
En tombant pour la troisième fois, tu rejoins tous ceux qui souffrent de leurs addictions, ceux qui n’arrivent pas à se défaire de leurs mauvaises habitudes.
Montre-nous Seigneur, l’infini de ta miséricorde, donne-nous cette espérance à la mesure de ton cœur.
L’humiliation n’en finit pas : frappé, moqué, supplicié, écrasé … voilà que Jésus est maintenant dépouillé de ses vêtements. Peut-on atteindre encore plus à sa dignité ? Même quand Jésus perçait le secret des cœurs, il prenait soin de respecter la liberté. Par exemple avec cette femme qui lui arrache une guérison, cachée dans la foule : « qui m’a touché ? » demandait-il, pour que la vérité ne soit pas nudité, pour que la transparence ne soit pas voyeurisme. On lui refuse ce qu’il accordait.
Comme il est facile d’instrumentaliser les autres, c’est tellement plus simple de les considérer comme des objets. La pudeur est le rempart du mystère, et respecter le mystère de l’autre, c’est renoncer à tout contrôler.
Trop souvent Seigneur nous oublions de considérer la dignité des autres. Trop souvent nos regards nos paroles ou nos gestes manquent de respect comme s’ils s’adressaient à des êtres sans âmes.
Pardon Seigneur pour ces pensées impures, pour cette vulgarité ordinaire dont nous nous satisfaisons trop facilement.
Toi qui rejoins ceux qui n’ont plus d’honneur, ceux qui sont vendus ou maltraités, ouvre nos yeux pour que nous reconnaissions ton image et ta ressemblance en ceux que nous rencontrons, apprends-nous la décence et la délicatesse.
On touche à la fin, et l’on attache Jésus à la croix, solidement tellement solidement que, jusqu’à la fin des temps Jésus sera inséparable de la croix ; même ressuscité, il garde les stigmates de ce qui l’attachait à la croix. Sur le bois, son corps livré pour nous ; les clous qui s’enfoncent font jaillir son sang répandu pour la multitude. Il n’y a pas vingt quatre heures, Jésus expliquait ce que l’on peut voir maintenant : la croix n’est pas une punition mais une preuve d’amour ; sa souffrance n’est pas un échec, mais un sacrifice.
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Peu importe la liberté des faits, ce qui compte c’est la liberté du cœur. Sur la croix, Jésus montre qu’on peut toujours se donner, quoiqu’il arrive, quoique nous subissions.
Trop souvent, Seigneur, nous nous enfermons dans nos souffrances. Trop souvent nous oublions ta présence à nos cotés, et nous ne savons pas nous joindre à toi, nous ne savons pas offrir et nous offrir pour le salut du monde.
Pardon Seigneur pour nos colères démesurées, pardon pour nos résignations absurdes.
Toi qui rejoins tous ceux qui souffrent, toi qui as été mis au rang des malfaiteurs, ouvre nos cœurs à l’amour qui donne et se donne, guide nous dans la voie du sacrifice.
Un grand cri, un soupir, puis un silence … Tout est accompli … Jésus est mort. Dans le silence on peut entendre le souffle d’un murmure, celui du centurion « vraiment celui-ci était fils de Dieu » ; et plus loin dans le Temple, le cri d’une déchirure, celle du rideau qui sépare le ciel et la terre. Au moment même où la présence humaine de Jésus s’éteint, la présence divine emplit la terre. Le Fils a rendu son dernier souffle au Père, ainsi l’Esprit est répandu sur le monde.
De tout temps la mort est une énigme pour l’homme. Interrogation paradoxale, elle sans doute la question ultime. Mais la mort de Jésus est d’abord un mystère, celui de l’amour de Dieu pour nous, celui de notre salut
Sur la Croix, Seigneur, toi l’innocent tu subis le châtiment du coupable … tu prends sur toi le péché du monde et tu payes pour nous le prix de nos fautes.
Sur la Croix, Seigneur, toi le Fils bien aimé du Père, tu éprouves le sentiment d’abandon et tu rejoins tous nos doutes, toutes nos obscurités.
Sur la Croix, Seigneur tu t’offres et tu te livres dans l’amour pour que nous puissions, nous aussi, nous remettre entre les mains du Père.
Au pied de la croix, Marie reçoit le corps sans vie de Jésus. Voilà le moment où l’épée annoncée par le vieillard Syméon, il y a si longtemps, achève de transpercer l’âme de Marie. Quel sens à tout cela ? ses dernières paroles « voici ton fils », sa réplique à une femme « heureux qui garde ma parole », ses miracles, le premier celui de Cana, sa réflexion parmi les docteurs « je me dois aux affaires de mon père », la venue des mages et des bergers, la salutation d’Elisabeth, et le message de l’ange …
C’est le temps du souvenir qui invite à l’espérance ; la mémoire des merveilles de Dieu n’a plus l’émotion joyeuse du Magnificat, mais elle garde cette grave sérénité de la foi. La foi pure … que tout se passe selon ta Parole
Seigneur nous voulons te recevoir comme ta mère t’a reçu … dans la confiance inconditionnelle, dans cette foi qui voit l’invisible, qui reconnaît la divinité à travers l’humanité, le spirituel à travers le matériel, la vie au-delà de la mort …
Seigneur tu nous livres ton corps pour que nous puissions t’accueillir, dans le mystère eucharistique nous rejoignons Marie au pied de la croix pour être comme elle aux noces où tu offres le vin nouveau et mystérieux …
Seigneur augmente en nous la foi, que l’eau vive que tu donnes fasse s’épanouir cette graine de moutarde que tu as semée en nous au jour du Baptême.
On roule la pierre, comme on met un point à la fin d’une phrase. C’est le terme d’une histoire, donc le commencement d’une autre. On roule la pierre, comme on tire un rideau : il n’y a plus rien à contempler, le temps est venu d’être nous-mêmes les acteurs. C’est le temps de la fidélité et le temps de notre responsabilité ; c’est le temps de la disponibilité à la nouveauté de Dieu : Que faut-il faire ? Que faut-il attendre ? L’histoire le dira puisque le maître n’est plus.
Le monde entre dans le grand silence du samedi saint, le silence de la germination, le silence de l’attente, le silence de l’abandon à la puissance de Dieu, non pas comme on la veut, mais comme elle se manifestera
Seigneur tu te remets entre nos mains, c’est à nous de prendre soin de toi, de ta parole, de ton œuvre, qui que nous soyons, quoi que nous vivions tu t’en remets à nous dans ce grand mystère qui résonne par les sacrements.
Seigneur à travers toute l’attention que nous pouvons nous porter les uns aux autres nous témoignons de ton appel à faire triompher le bien du mal, à vivre de cette vie que la mort ne peut enfermer.
Seigneur augmente en nous l’espérance qui conduit nos engagements pour que ton Esprit reçu à la Confirmation souffle sur tous les hommes.