Père Charles Mallard-Peut-on refuser ce que Dieu a déjà donné ?
Peut-on refuser ce que Dieu a déjà donné ?
6° Dimanche de Pâques – Année B
Ac 10, 25-26ss ; Ps 97(98) ; 1 Jn 4,7-10 ; Jn 15,9-17
« Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres ». Telle est la conclusion de l’évangile de ce jour, et on ne peut pas dire que ce soit une surprise. Cela devrait faire partie des évidences de notre foi. On nous l’a suffisamment répété, pour que nous n’ayons aucun doute sur l’importance de ce commandement. Bien sûr, une chose est de savoir, l’autre de vivre ; et comme il est parfois plus confortable de minimiser ce qu’on n’arrive pas à faire, cela vaut la peine qu’on nous le rappelle de temps en temps. D’ailleurs, ça ne date pas d’hier : la deuxième lecture témoigne assez que dès les débuts du christianisme, saint Jean avait besoin de rappeler aux chrétiens l’importance de l’amour pour la foi.
Cela dit, le commandement du Seigneur est exactement : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ». Le mot « amour » a tellement de sens et de nuance, qu’il n’est pas inutile de se rappeler la précision : « comme je vous ai aimé ». D’autant que Jésus va détailler de quel amour il nous aime. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Il s’agit donc d’un amour qui donne et non pas d’un amour qui prend. « Je vous appelle mes amis car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ». C’est donc un amour qui ne cherche pas l’utilité ou l’efficacité, mais qui désire l’union des volontés, pour que nous ne nous contentions pas de faire ce que veut le Seigneur, mais que nous voulions ce qu’il veut. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ». C’est donc aussi un amour qui nous précède et nous appelle, et non pas un amour qu’on décide et qui ne dépend que de nous.
Si l’évangile et la deuxième lecture semblent être bien accordés, on peut se demander, pourquoi la première lecture nous rappelle la rencontre entre Pierre et Corneille, le centurion de Césarée. Serait-ce le hasard d’une double lecture continue pendant le temps pascal : celle des actes des apôtres et celle de l’évangile de Jean ? En fait, on va retrouver dans l’histoire de Pierre les mêmes caractéristiques de l’amour dont parle Jésus. Lui aussi fait l’expérience d’un amour qui le précède, puisque manifestement l’Esprit-Saint l’a précédé dans le cœur des païens. Pierre fait encore l’expérience d’un amour qui s’explique et partage son intention puisqu’il déclare : « en vérité, je le comprends, Dieu est impartial ». Enfin il entre dans cette invitation à la générosité, comme en témoigne sa réflexion : « pouvons-nous leur refuser ce que Dieu leur a donné ? ».
Ainsi ce que vit saint Pierre à Césarée, vient éclairer d’une lumière nouvelle le commandement du Seigneur. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » ne signifie pas tant aimez les autres comme vous êtes aimés vous-mêmes, mais aimez les autres comme Dieu les aime. L’amour qui nous est proposé n’est pas tant une balle que l’on renvoie plus ou moins habilement, mais plutôt un amour en cascade dont nous pouvons être un rebond. Bien sûr, il n’est pas faux ni injuste d’essayer d’imiter le Seigneur et d’aimer à sa manière, mais nous pouvons aller plus loin, et plus profondément, en réalisant qu’il s’agit aussi et surtout d’entrer dans le mouvement même de Dieu. Il ne s’agit pas seulement d’aimer parce que nous sommes aimés, mais d’aimer ceux que Dieu aime. Car nous ne sommes ni la source de l’amour, ni même un lac qui déborde du surplus de ce qu’il reçoit. « Pouvons-nous refuser ce que Dieu a déjà donné ? » voilà une belle question pour éclairer le commandement du Seigneur d’aimer comme il aime. Il ne s’agit pas seulement d’imiter, mais aussi de partager ; il ne s’agit pas de transmettre comme un filtre, mais comme un canal ; il ne s’agit pas d’aimer à notre mesure mais d’entrer dans la mesure du cœur de Dieu.
Puisque Dieu a donné sa vie pour ceux qu’il aime, pouvons-nous refuser de nous donner à notre tour ? Puisque Dieu a fait connaître son amour, pouvons-nous le taire ? Ceux que Dieu a choisis, pouvons-nous les mépriser ? En vérité, comme Pierre à Césarée, c’est en découvrant que Dieu aime les autres, que nous pouvons les aimer. Ce n’est pas nous qui sommes le miroir de l’amour de Dieu pour les autres, ce sont les autres qui sont le miroir de l’amour de Dieu pour nous.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Mère du Bel Amour qu’elle nous entraine dans le souffle de l’Esprit-Saint, le don de Dieu. Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à aimer ce que le Seigneur aime. Porte du Ciel qu’elle fasse battre nos cœurs au rythme du cœur de Dieu, pour que nous demeurions en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.