Père Charles Mallard-Ne pas confondre Dieu et les hommes
Ne pas confondre Dieu et les hommes
31° Dimanche du Temps Ordinaire – Année A
Ml 1,14b-2,1.2b.8-10 ; Ps 130 ; 1 Th 2,7b-9.13 ; Mt 23,1-12
L’évangile que nous venons d’entendre est en quelque sorte la tarte à la crème de toutes les critiques vis-à-vis de l’église ou des prêtres ! Ne voyez dans mes propos aucun manque de respect pour la parole de Dieu, même si je reconnais volontiers un peu d’agacement dans l’usage que certains en font. Cela dit, je ne suis pas convaincu qu’il serait plus évangélique de revendiquer le titre de « Monsieur l’archiprêtre », plutôt que celui de « père » ! Sans compter qu’on continue à parler de père dans les familles même chrétiennes, et que les artistes, les enseignants ou les hommes de loi ne s’offusquent pas qu’on les appelle « maitre » ! Chacun comprendra facilement qu’on ne peut pas réduire le message de Jésus à de simples questions de protocole.
Il est bien plus intéressant de s’attarder sur les justifications que donne le Seigneur. Pour résumer, on peut dire qu’il invite à ne pas se mettre à la place de Dieu. En précisant, on remarquera qu’il y a deux types d’avertissements : « ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, ou de maître » et « ne donnez à personne sur terre le nom de père ». Donc l’avertissement est double : ne vous prenez pas pour Dieu, et ne prenez personne pour Dieu.
Ne vous prenez pas pour Dieu … car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ et vous êtes tous frères. C’est le premier avertissement, et malheureusement, il ne concerne pas seulement ceux qui enseignent. Sans doute la tentation est-elle plus forte pour le savant qui peut se laisser enivrer par le savoir. Dans un poème des Fleurs du Mal (Châtiment de l’orgueil) Baudelaire fait le portrait saisissant d’un théologien qui devient fou lorsqu’il se met à croire que la gloire de Dieu dépend de ce qu’il dit. Mais le plus souvent, c’est subtilement que l’on se met à la place de Dieu. Quand on prétend savoir mieux que les autres ce qui est juste ou ce qui est vrai, quand on préfère donner des leçons plutôt qu’en recevoir, quand on jauge la foi à l’aune de nos impressions. Il n’est pas toujours nécessaire que les autres nous admirent pour qu’on se prenne pour un maître. Il suffit de faire passer le Christ après nos idées, par exemple en consentant seulement à ce qu’il nous donne raison !
Mais si Jésus nous met en garde contre l’orgueil, il avertit d’un autre danger : « ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux ». Il ne s’agit plus ici de se prendre pour Dieu, mais de prendre un autre pour Dieu. Cela arrive quand on porte à quelqu’un l’affection et la confiance qu’on doit à Dieu. Quand la parole ou l’opinion d’un autre prime pour nous sur l’évangile. C’est une manière d’idolâtrie. Rien ni personne ne devrait être plus important que le Seigneur. Cela ne signifie pas, évidemment qu’on ne doive aimer personne, ni qu’on ne fasse confiance à personne, mais aucune relation n’est absolue, toutes nos relations doivent être mesurées ou référées à Dieu. Mettre quelqu’un à la place de Dieu, c’est risquer qu’il le croie et qu’il nous fasse faire n’importe quoi.
Il reste un troisième moyen de confondre Dieu et les hommes. Saint Paul, dans la deuxième lecture, l’évoque en félicitant les Thessaloniciens de l’avoir évité. « Vous avez accueilli la Parole de Dieu pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants ». Il ne s’agit plus de mettre un homme à la place de Dieu, mais de mettre Dieu à la place des hommes. Je sais bien que ce n’est pas très facile de se prémunir de ce piège, puisque le Seigneur utilise des moyens humains pour nous parler. Comment d’ailleurs pourrait-il faire autrement puisque nous sommes humains ? Mais, comme dit le proverbe, quand le sage montre la lune, il ne faut pas regarder son doigt ! Il nous faut donc être vigilants pour accueillir la Parole de Dieu dans l’humilité et dans la foi pour qu’elle soit une porte vers le mystère, un guide pour reconnaître la présence divine.
« Rendez à Dieu ce qui est à Dieu », disait Jésus à ceux qui l’interrogeait sur l’impôt. C’est bien la même invitation qui nous est faite aujourd’hui : ne pas confondre Dieu et les hommes, mais reconnaître à chacun à sa place : c’est Dieu qui est au centre, lui et non pas nous, lui et personne d’autre. L’équilibre n’est pas toujours facile à tenir, mais il est bon de garder au cœur l’interpellation du prophète Malachie : « n’avons-nous pas tous un seul Père ? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? »
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Temple de l’Esprit Saint, qu’elle nous rende dociles au Don de Dieu pour que nous sachions reconnaître la présence de l’invisible. Mère de l’Église, qu’elle ouvre nos cœurs à ceux que le Seigneur place auprès de nous, sans que nous confondions le message et le messager. Porte du Ciel, qu’elle nous apprenne à nous tenir devant Dieu pour que nous puissions demeurer en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.