Père Charles Mallard-La possibilité d’une méprise
La possibilité d’une méprise
17° Dimanche du Temps Ordinaire – Année B
2 R 4,42-44 ; Ps 144 ; Ep 4,1-6 ; Jn 6,1-15
On comprend facilement que la multiplication des pains ait frappé ceux qui y ont assisté et qu’elle soit restée dans la mémoire. On en retrouve le récit dans chacun des quatre évangiles avec chaque fois les mêmes détails des cinq pains et des deux poissons, les cinq mille hommes à nourrir et les douze paniers qui restent à la fin. Pourtant seul saint Jean termine en disant que Jésus s’enfuit pour éviter qu’on se saisisse de lui et le porte au pouvoir. Comme s’il nous avertissait de la possibilité d’une méprise.
Il y a déjà une première méprise dans le dialogue entre Jésus et Philippe. Le Seigneur demande « où pourrions-nous acheter du pain » et l’apôtre lui répond « nous n’avons pas assez d’argent pour cela ». C’est qu’il y a deux types de partages. Soit partager, c’est diviser, soit partager, c’est multiplier. Quand on partage des biens, il faut les diviser ; quand on partage des valeurs on les augmente. Partager un gâteau et partager une bonne nouvelle sont deux dynamiques différentes, et même pourrait-on dire opposées. Comme au temps d’Élisée, Jésus nous invite au partage qui multiplie. A nous attacher donc à ce qui demeure plutôt qu’à ce qui passe, comme le disait la prière d’ouverture. La multiplication des pains nous propose d’attendre du Seigneur ce qui se communique dans le partage plutôt que ce qui diminue.
Ensuite, il y a une autre méprise possible, qui vient de l’abondance, et même de la surabondance du don de Dieu. « Que rien ne se perde » demande Jésus. Il ne s’agit pas simplement d’éviter le gaspillage, mais de changer nos critères de valeurs. Alors que l’on pourrait considérer que c’est la rareté qui fait la valeur des choses, voilà que le Seigneur invite à prendre soin de ce qui est en surplus. Certains pères de l’église ont commenté en soulignant que les cinq pains représentaient les cinq livres de la Loi, et que les douze paniers représentent le témoignage des douze apôtres envoyés dans le monde entier. On passe donc d’un trésor réservé à un petit groupe à un trésor offert à tous les peuples. La multiplication des pains manifeste qu’on passe d’une richesse de privilégiés à une richesse de multitude : ce qui est le plus important n’est pas ce que les autres n’ont pas mais ce que tous reçoivent.
Enfin, il y a cette dernière méprise, du peuple cherchant à enlever le Seigneur pour en faire son roi. On comprend combien serait confortable une situation où il est si facile de nourrir cinq mille hommes. Mais la providence de l’état n’est pas celle de Dieu. Le don reste un don et non pas un du. Il est tentant de se saisir du Seigneur pour l’utiliser à notre profit, comme s’il était à notre disposition. Mais ça n’est pas l’homme qui dispose de Dieu selon ses besoins ; la grâce n’est pas à notre service, c’est nous qui devons rester disponibles au Seigneur. La multiplication des pains ne doit pas nous conduire à exiger de la puissance divine mais à lui faire confiance. On se souvient d’ailleurs que Jésus n’a pas multiplié à partir de rien, mais à partir de ce qu’on lui a apporté. La bonté de Dieu est une invitation à participer, et non pas un encouragement aux réclamations.
Il y a bien quelque chose d’admirable dans la multiplication des pains, mais nous devons prendre garde de ne pas nous tromper sur le cœur de Dieu. Sa sollicitude nous propose ce qui se multiplie et non pas ce qui se divise, sa générosité n’est pas un privilège mais une plénitude, sa bonté nous invite à le rejoindre pour le suivre et non pas à le retenir pour en profiter.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Trône de la Sagesse, qu’elle nous apprenne à préférer le partage qui multiplie plutôt que celui qui divise. Arche de la Nouvelle Alliance, qu’elle nous attache à ce qui demeure plutôt qu’à ce qui passe. Mère du Bel amour, qu’elle nous encourage à reconnaître le don de Dieu pour que nous puissions avec confiance garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix, et demeurer en Dieu comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.