Père Charles Mallard-Les longues traversées
Les longues traversées
1° Dimanche de carême – Année B
Gn 9,8-15 ; Ps 24(25) ; 1 P 3,18-22 ; Mc 1, 12-25
Le premier dimanche de Carême, nous entendons le récit des tentations de Jésus dans le désert. Or cette année, il s’agit du récit de Marc qui est extrêmement concis. Mais la liturgie, avec semble-t-il un certain humour, nous propose, pour méditer sur les quarante jours de Jésus dans le désert, de nous souvenir des quarante jours de Noé lors du déluge ! Qu’il y ait trop d’eau ou pas assez, c’est toujours une traversée de quarante jours qui nous est présentée pour commencer le carême. Mais à bien y réfléchir, l’expérience d’une traversée en mer ou comme celle du désert présentent un certain nombre de ressemblances qui peuvent nous inspirer pour mieux comprendre ce à quoi nous sommes appelés. Méhariste ou marin, chacun choisira l’image qui lui convient le mieux pour vivre ces quarante jours qui nous préparent à Pâques.
D’abord c’est un temps qui nous ramène à l’essentiel. En mer ou dans le désert, on ne peut pas tout emporter. Il y a une certaine austérité avec laquelle on ne peut pas tricher et qui nous dépouille du superflu. C’est le sens du jeûne et de l’abstinence pendant le carême. Nous sommes invités, pendant ces quarante jours à nous défaire de ce qui n’est pas indispensable. Il ne s’agit pas de multiplier les mortifications ou de se mettre en danger, mais de prendre conscience de ce dont nous avons réellement besoin. Car bien souvent nous confondons plaisir et besoin … or le domaine de la nourriture est un lieu privilégié pour faire le tri entre le plaisir et le besoin. Il n’y a aucune raison de mépriser le plaisir, mais il faut lui garder une juste place dans notre vie : il en est l’ornement, parfois le moteur, mais il ne doit pas en être le guide. Vérifions donc pendant ces quarante jours que nous pouvons nous priver du superflu, et que nous ne sommes pas des enfants gâtés qui réclament comme nécessaire ce qui est un don gratuit.
Ensuite c’est un temps qui nous tourne vers nos compagnons de route. En mer ou dans le désert, on ne s’aventure pas tout seul. Que ce soit en équipage ou en caravane, l’homme a besoin des autres pour entreprendre ces traversées. C’est pourquoi le temps de carême est aussi un temps de partage. Partage avec ceux qui sont proches, partage avec ceux qui sont loin. Comment peut-on imaginer faire de la foi une affaire privée ? Si nous sommes introduits dans le peuple de Dieu, dans l’assemblée des saints, n’avons-nous pas un devoir fondamental de solidarité ? Il serait inutile et inique de prétendre être en communion sans vouloir partager. Ouvrons donc les yeux pendant ces quarante jours pour voir ceux avec qui nous pouvons partager, notre argent ou notre temps, notre amitié ou notre bonne humeur … les besoins ne manquent pas !
Enfin c’est un temps qui nous rapproche de Dieu. La mer ou le désert sont des lieux propices à la méditation parce qu’ils nous remettent à notre place : tout petits devant la nature et pourtant suffisamment forts pour en défier les dangers par la patience et la persévérance. Ce sont des lieux où nous sommes rappelés à l’humilité sans humiliation. Et c’est précisément ce que nous propose la prière : se retrouver à notre place devant Dieu, humbles mais aimés, faibles mais fidèles, sans tricher ni fanfaronner, en aimant et en se laissant aimer. Acceptons, pendant ces quarante jours, l’épreuve de vérité qui est de se retrouver devant notre Seigneur dans la simplicité de notre cœur en prenant le temps de la disponibilité et de la persévérance dans sa présence.
Oui, voilà l’aventure qui commence pour nous : une traversée de quarante jours, semblable à un voyage en mer ou à un périple dans le désert ; un temps de retour à l’essentiel avec Dieu et les autres ; un temps où nous découvrons qu’il y a des limites qui permettent la liberté, et modèlent notre cœur à l’image du cœur de Dieu.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous accompagne au long de ces quarante jours dans lesquels nous nous embarquons. Trône de la Sagesse, qu’elle nous aide à découvrir l’essentiel de notre vie. Mère de miséricorde, qu’elle ouvre nos cœurs à la vie de nos frères. Temple de l’Esprit Saint qu’elle nous apprenne à vivre toujours plus en présence de Dieu pour que nous puissions accepter de nous convertir et de croire à l’Évangile, pour rentrer dans le Royaume qui s’approche, dès maintenant et pour les siècles des siècles.