Père Charles Mallard-Le royaume de Dieu dans notre vie
Le royaume de Dieu dans notre vie
27° Dimanche du Temps Ordinaire – Année B
Gn 2,18-24 ; Ps 127 ; He 2,9-11 ; Mc 10, 2-16
Je dois vous avouer ma perplexité en entendant l’évangile de ce jour. Non pas que les enseignements du Seigneur m’intriguent, c’est même plutôt le contraire. La position de Jésus face à la question des pharisiens sur la répudiation est bien connue ; son attitude vis-à-vis des enfants qu’on lui demande de bénir aussi. Non ! Ce qui m’étonne c’est que l’on nous propose de lire ces deux passages le même dimanche, dans le même évangile. Bien sûr ils sont l’un à la suite de l’autre dans l’évangile de Marc, mais d’habitude, les lectures sont choisies pour garder une unité thématique. Vu la première lecture que nous avons entendue et qui se rattache naturellement à la première partie de l’évangile, pourquoi aller jusqu’à l’histoire des enfants ? Il est vrai que cette deuxième partie peut être omise, et que j’aurai pu choisir la lecture brève. Solution de facilité qui permet de se concentrer sur les affaires matrimoniales. Mais en matière biblique, la solution de facilité est le meilleur moyen pour passer à côté de l’Esprit Saint ! Donc essayons de voir l’intérêt qu’il peut y avoir à rapprocher les deux parties de l’évangile : la controverse avec les pharisiens et l’accueil des enfants.
La première chose que l’on peut remarquer c’est un contraste fort et saisissant entre l’attitude des pharisiens qui se présentent devant Jésus pour le mettre à l’épreuve et celle des parents qui présentent au Seigneur leurs enfants pour qu’il les bénisse. Les uns discutent une permission, les autres demandent une bénédiction. Les premiers viennent pleins d’arrogance, les seconds pleins d’humilité ! Voilà déjà qui peut nous interroger sur nos dispositions de cœur devant le Seigneur. Est-ce que nous attendons de Dieu qu’il conforte nos prétentions, qu’il nous donne raison et nous encourage à continuer ce que nous voulons faire ; ou bien est-ce que nous nous présentons simplement pour recevoir ce qu’il veut nous donner ?
Ensuite on peut s’intéresser à ce que Jésus dit aux uns et aux autres, plus exactement ce qu’il répond aux pharisiens et ce qu’il dit aux disciples qui écartaient vivement les enfants. Aux premiers il explique le sens de la prescription de Moïse sur l’acte de répudiation : « c’est à cause de la dureté de votre cœur ». Effectivement, l’expérience le montre encore de nos jours malheureusement, lorsqu’il y a séparation, lorsqu’il y a conflit, il faut une loi pour nous obliger à respecter celui ou celle à qui l’on s’oppose. La loi n’est pas une permission, elle est un garde-fou pour limiter les dégâts. Jésus rappelle que la volonté de Dieu, c’est l’unité, et que quoi qu’il arrive la dureté de cœur ne doit pas l’emporter sur le respect de chacun. Par ses paroles aux disciples, Jésus complète cet enseignement en demandant, non seulement de respecter mais aussi d’éviter le mépris : « le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent ». Alors que sans doute les disciples trouvaient que la démarche des parents était inopportune et qu’elle venait troubler une discussion sérieuse pour des motifs futiles, le Seigneur rappelle l’éminente dignité de chacun, spécialement de ceux qui ne nous intéressent pas ! Dans les deux situations, il nous est rappelé que c’est le regard de Dieu qui doit commander nos réactions et nos relations, et non pas nos émotions ou nos sentiments.
Enfin il y a la conclusion du texte : « celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas ». Généralement on comprend qu’il faut accueillir le royaume de Dieu comme un enfant l’accueille. Le prédicateur zélé va se lancer alors dans un émouvant plaidoyer pour l’innocence et la docilité. C’est généralement très émouvant, assez romantique et un peu convenu. Ne pourrait-on pas comprendre autrement cette phrase ? Ne peut-elle pas dire aussi qu’il faut accueillir le royaume de Dieu comme on accueille un enfant ? Alors s’éclaire le lien avec l’enseignement sur le mariage. Car cela nous rappelle que notre relation à l’autre est le lieu de notre relation à Dieu. Quand les époux se reconnaissent unis par Dieu, ils se découvrent participant d’un mystère qui les dépasse. Leur amour devient le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen, de l’amour de Dieu. De la même manière, l’enfant qui nous dérange même gentiment, celui qui nous désarme par sa fragilité, celui qui a besoin de notre attention ou de notre aide, l’enfant qu’il soit câlin ou qu’il soit pénible, éveille en nous la disponibilité qui permet d’accueillir le royaume de Dieu, ce royaume qui nous dérange parfois, qui nous désarme souvent et qui nous sollicite toujours.
Ainsi, bien plus qu’un traité de morale, ou une succession d’anecdotes, l’évangile d’aujourd’hui nous ouvre le cœur de Dieu en interrogeant nos cœurs. Comment nous présentons-nous devant Dieu : comme ceux qui négocient une permission ou comme ceux qui mendient une bénédiction ? Savons-nous regarder les autres avec les yeux de Dieu, en y reconnaissant l’amour qu’il leur porte en toutes circonstances ? Vivons-nous nos relations comme la porte de la vie spirituelle, comme le lieu de vérité sur notre relation à Dieu ?
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Consolatrice des affligés qu’elle dispose nos cœurs à la rencontre du Seigneur. Porte du ciel qu’elle nous révèle le regard de Dieu sur ceux que nous croisons. Mère du Bel Amour qu’elle nous apprenne à vivre entre nous ce que nous vivons avec le Seigneur pour que nous puissions demeurer en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.