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Père Charles Mallard-Les niveaux de la justice

23 février 2025

Les niveaux de la justice

7° dimanche du temps ordinaire – année C

1 S 26, 2,7-9. 12-13. 22-23 ; Ps 102 (103) ; 1 Co 15, 45-49 ; Lc 6, 27-38

L’évangile que nous venons d’entendre est l’un des passages les plus déconcertants de l’enseignement du Seigneur. Sans doute peut-on le trouver sublime au sens où il propose une perfection admirable … trop admirable parce qu’on ne l’accepte que si elle ne nous concerne pas ou que les enjeux ne sont pas trop grands. Quand il s’agit de le vivre pour des choses importantes, les demandes de Jésus apparaissent plus difficiles, et pour être honnête, soit elles sont décourageantes, soit elles sont révoltantes !

Qu’est-ce qui est dérangeant dans ce que dit Jésus ? Peut-être l’impression qu’il nous demande de renoncer à toute espèce de justice. Comme si, pour être parfait, il fallait faire le contraire de ce que nous ressentons spontanément. Pourtant, le texte comporte des réflexions qui relèvent de la justice : il parle de reconnaissance, de récompense, de mesure …Alors de quelle justice parle-t-il ?

En vérité, il y a plusieurs niveaux dans la justice. Le premier niveau, c’est l’émotion. Ce qui nous fait réagir à l’injustice, le sentiment qu’une situation ne doit pas être acceptée. C’est un peu comme un signal d’alarme. Mais si l’émotion aspire à la justice, il faut reconnaître qu’elle n’y conduit pas toujours, et souvent la colère entraine à répondre à l’injustice par l’injustice. Cette justice de l’émotion, qui est une justice de réaction, est un bon avertisseur mais un mauvais guide. Au passage on remarquera que ce qu’on appelle la « justice médiatique » est justement basée sur l’émotion.

Il y a un deuxième niveau : c’est la justice civile ou légale. Une justice qui s’appuie sur les lois, les règlements, les traités internationaux. C’est une justice d’arbitrage qui fait sortir de l’émotion et permet de vivre ensemble. Elle vient rappeler la mesure et la raison qui sont menacées par le mal, car le mal est toujours démesuré et il n’est jamais raisonnable. Normalement cette justice légale doit être respectée. Elle est parfois insuffisante, mais cela devrait rester une exception.

Car il y a un troisième niveau : la justice morale qui ne recouvre pas exactement la justice civile, même si on a tendance à les confondre. La justice morale dit le bien et le mal ; la justice civile dit l’autorisé et le défendu. Évidemment, il est souhaitable que le bien soit autorisé et que le mal soit défendu ; mais l’autorisation ne définit pas le bien et l’interdiction ne définit pas le mal. Cette différence entre la justice civile et la justice morale revient régulièrement au cours de l’histoire, par exemple dans les situations d’objection de conscience ou de résistance. C’est une justice du bien et non plus d’arbitrage. Ce n’est pas toujours facile à discerner, mais c’est toujours à rechercher.

Enfin l’évangile du jour nous invite à découvrir un quatrième niveau. On peut l’appeler la justice spirituelle ou la justice divine. Elle n’ignore pas la justice morale, mais elle va au-delà parce qu’elle voit plus loin. Dans la première lecture, David en donnait un exemple : il a su voir dans l’ennemi celui qui a reçu l’onction de Dieu. Il a su respecter la dignité de celui qui s’est abaissé à faire le mal. La justice spirituelle refuse de s’enfermer dans monde où il y aurait les victimes d’un côté et les bourreaux de l’autre, parce qu’on passe facilement de l’un à l’autre. Ainsi Jésus rappelle la réciprocité fondamentale : « ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ». On pourrait dire que la justice spirituelle est une justice d’imitation, mais d’imitation de Dieu : « soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » ; « vous serez les fils du Très-Haut car il est bon pour les ingrats et les méchants ».

Comme disait saint Paul « ce qui vient d’abord, ce n’est pas le spirituel, mais le physique ». On n’atteindra jamais la justice spirituelle si l’on néglige la justice morale. Dieu donne l’exemple du mieux, et cela suppose le bien. Aussi, il ne faudrait pas croire que Jésus nous demande de tout accepter. Dieu n’accepte pas tout. Il y a des textes dans l’évangile qui parlent du châtiment des méchants, et ça ne fait pas envie ! Mais Dieu préfère que le méchant se convertisse et, répondre au mal par le bien c’est donner une chance au repentir. Jésus ne dit pas « ignore-le et fais comme si rien ne s’était passé », il ne dit pas non plus « encourage le méchant à continuer » : s’il propose de tendre l’autre joue, ça n’est pas pour recevoir une nouvelle gifle, mais pour donner la possibilité de s’embrasser !

Oui, le Seigneur nous propose d’avoir de l’ambition spirituelle. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être à l’image de celui qui est fait d’argile, nous devons rechercher à être à l’image de celui qui vient du ciel. Nous devons essayer d’agir comme Dieu ; et nous le pouvons parce que nous pouvons aimer comme il aime.

Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Miroir de la sainteté de Dieu, qu’elle nous apprenne à rechercher le Royaume et sa justice. Refuge des pécheurs, qu’elle ouvre nos cœurs à la miséricorde qui seule peut faire triompher le bien dans nos vies. Consolatrice des affligés, qu’elle nous accompagne dans les épreuves, pour que nous ressemblions toujours plus au Christ qui nous conduit dans le cœur du Père, dès maintenant et pour les siècles des siècles.

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