Père Charles Mallard-Attention à l’engrenage du péché
Attention à l’engrenage du péché
27° Dimanche du Temps Ordinaire – Année A
Is 5,1-7 ; Ps 79 (80) ; Ph 4,6-9 ; Mt 21,33-43
La parabole que nous venons d’entendre dans l’évangile paraît assez simple à comprendre. Comme le rappelaient la première lecture et le psaume, dans la Bible, la vigne est l’image de l’alliance et du peuple de Dieu. Aussi, l’histoire de ce maître qui confie une vigne à des vignerons et qui n’arrive pas à récupérer le produit de la vendange est l’image de l’histoire du salut. Dieu a planté une vigne, et l’a confiée aux hommes. Puis, au moment venu il a envoyé ses serviteurs, les prophètes, pour que lui soit rendu l’honneur qui lui est du. Entre parenthèse, ça veut dire que les vignerons ne l’avaient pas fait parvenir spontanément. Seulement les prophètes ont été frappés, tués, lapidés. Alors Dieu a envoyé son fils, Jésus qui a été mis à mort lui aussi. Que se passera-t-il ? Il confiera sa vigne, sa loi, son message, son amour, sa vie à d’autres qui sauront le respecter. Voilà pourquoi Jésus conclut en disant aux chefs des prêtres et aux anciens : « le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire son fruit ».
Mais l’intérêt de cette parabole n’est pas de nous fournir une image pour résumer l’histoire religieuse du monde. Elle nous rappelle que travailler à la vigne du Seigneur implique un devoir vis-à-vis de Dieu, et elle nous avertit aussi de certains pièges qui peuvent nous guetter si nous ne sommes pas vigilants. En fait les vignerons dont parle Jésus ont fait trois erreurs, qui sont de plus en plus graves.
La première erreur qu’ils ont faite a été de ne pas, spontanément, faire parvenir au maître de la vigne le produit des vendanges. On pourrait dire que c’est l’image de l’ingratitude spirituelle. C’est l’erreur de ceux qui ne remercient jamais. Dans notre vie ordinaire, nous considérons que remercier est la forme élémentaire de la politesse … alors, est-ce que nous y veillons dans la vie spirituelle ? La prière de remerciement s’appelle l’action de grâce, c’est-à-dire l’acte par lequel nous rendons grâce. Rendre grâce, c’est reconnaître que Dieu nous a fait grâce. Est-ce que nous savons remercier le Seigneur pour ce qu’il nous donne, pour ce qu’il nous confie ?
La deuxième erreur est plus grave que la première. On peut admettre que, pris par le travail, les soucis et les préoccupations, les vignerons aient oublié de rendre grâce … mais lorsque les serviteurs se présentent ils refusent de leur remettre ce qu’ils doivent au maître de la vigne. C’est l’image de l’orgueil spirituel. C’est l’erreur de ceux qui se croient propriétaires de ce qui leur a été confié. « C’est à moi ! » « C’est grâce à moi » « Je le mérite » pensent-ils. Et cela doit nous interroger sur la manière dont nous considérons nos qualités. A quoi servent-elles ? A qui servent-elles ? A nous ou à Dieu ? Ce que nous faisons – et que nous faisons bien – pour qui le faisons-nous ? pour nous ou pour Dieu ? Nous sommes gentils, accueillants, intelligents, beaux, astucieux, aisés, attentifs, généreux – tout ce que vous voulez – mais à qui cela profite-t-il ? Est-ce que nous mettons ces qualités au service de Dieu, ou bien servent-elles seulement pour notre propre profit ?
Mais peut-être certains trouveront que j’exagère, et que vu les efforts que nous faisons pour faire les choses, vu la fatigue du travail, il est normal que nous en profitions. Sans doute mais à quel prix ? Car il y a la troisième erreur des vignerons : ils ont voulu l’héritage et pour cela ils ont tué l’héritier. Au lieu de recevoir leur salaire, ils ont cherché à s’emparer du domaine. Au lieu de faire confiance à la justice du maître, ils l’ont considéré comme un concurrent. Leur troisième erreur est l’image de la mort spirituelle. C’est la plus terrible parce qu’elle a un caractère définitif. Dans la tradition, on appelle cela la damnation, cette forme de péché contre l’esprit dont parle Jésus. Nous ne pouvons pas vivre sans Dieu, car il est la vie. Nous ne serons héritiers de Dieu que si nous le sommes dans le Christ, pas si nous le nions, pas si nous l’ignorons, pas si nous le refusons. Les deux premières erreurs peuvent être réparées, il peut y avoir un pardon … mais cette dernière erreur est irrémédiable parce que Dieu ne peut rien pour celui qui le refuse.
Évidemment ces considérations ne sont pas drôles, ni à entendre, ni à dire. Mais si Jésus raconte cette histoire, c’est pour avertir, c’est en espérant que ceux qui l’écoutaient réaliseraient la gravité des enjeux. Car il n’y a, dans l’enchaînement des erreurs des vignerons aucune fatalité. L’ingratitude spirituelle ne conduit pas nécessairement à l’orgueil spirituel, et l’orgueil spirituel ne conduit pas nécessairement à la mort spirituelle … heureusement ! Mais nous devons prendre au sérieux l’avertissement du Seigneur pour ne pas nous laisser entrainer dans l’escalade du péché. Le meilleur moyen d’éviter la mort spirituelle c’est d’être attentif à l’humilité qui nous préserve de l’orgueil spirituel. Le meilleur moyen d’éviter l’orgueil spirituel, c’est de reconnaître les bienfaits de Dieu en évitant l’ingratitude spirituelle. Voilà pourquoi saint Paul recommandait aux Philippiens : « en toute circonstances, priez et suppliez, tout en rendant grâce ».
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous protège de l’aveuglement du cœur et nous empêche de nous enfoncer dans le refus de Dieu. Elle est la Tour d’ivoire, le Secours des Chrétiens et la Mère de Miséricorde, qu’elle nous accompagne quand nous travaillons à la vigne du Seigneur, qu’elle nous fasse découvrir le don de Dieu et nous rappelle de rendre grâce. Et qu’ainsi la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, garde notre cœur et notre intelligence dans le Christ Jésus notre Seigneur, dès maintenant et pour les siècles des siècles.