Père Charles Mallard-La Parole de Dieu ne parle pas des autres
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La Parole de Dieu ne parle pas des autres
8° dimanche du Temps Ordinaire – Année C
Si 27, 4-7 ; Ps 91 (92) ; 1 Co 15, 54-58 ; Lc 6, 39-45
Je dois vous confesser mon embarras devant l’évangile que nous venons d’entendre. En apparence, bien sûr, tout ce qui est dit ressemble à du bon sens : « chaque arbre se reconnaît à son fruit ». Qui pourrait le contester ? Sans doute y a-t-il une petite nuance sur la question des figues que l’on ne cueille pas sur les épines, mais il suffit de se rappeler que le figuier de Barbarie, à l’époque de Jésus n’était pas encore connu, puisqu’il est originaire du Mexique et qu’il ne se développera dans le bassin méditerranéen qu’au XVIème siècle. Et puis, on ne va pas pinailler pour des questions botaniques … En revanche cette histoire d’arbre et de fruit a parfois servi à ignorer ce qui n’allait pas dans des communautés sous prétexte qu’on y vivait aussi de belles choses. Comment alors comprendre l’affirmation « que jamais un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit » ?
La première ambiguïté à lever est d’abord de savoir de qui parle Jésus. De nous ou des autres ? « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? » s’agit-il de nous prévenir de ne pas choisir de mauvais guide, ou bien de nous inviter à ne pas prétendre guider les autres ? L’enseignement sur la paille et la poutre éclaire le sens de l’enseignement du Seigneur : la parole de Dieu ne parle pas des autres mais de nous ! Il s’agit bien de ne pas donner des leçons alors que nous avons à en recevoir. Si la parole de Dieu parle de nous, l’arbre et les fruits, c’est chacun de nous et non pas les autres ! Il ne s’agit pas de juger les autres à ce qu’on en voit, mais de nous évaluer nous-mêmes à ce que nous faisons.
Alors, nous sommes devant une autre ambiguïté : si nous faisons de bonnes choses, est-ce que cela signifie que nous sommes bons ? Mais si nous faisons de mauvaises choses, est-ce que nous sommes mauvais ? Quel est le fruit qui révèle notre cœur ? Cela me fait penser à une histoire toulonnaise. Lors de la visite de Louis XIV à Toulon, on raconte que le Chevalier Paul, dans son jardin – qui est aujourd’hui le jardin de la ville – avait fait placer des fruits confits sur les arbres pour faire croire aux dames de la cour qu’ils poussaient comme ça ici ! Innocente galéjade sans doute, mais qui nous avertit que parfois les fruits qu’on trouve sur les arbres ne sont pas toujours ceux qu’ils produisent ! Il ne suffit pas que nous donnions l’apparence du bien pour que nous le soyons effectivement … sans compter qu’une fleur n’est pas un fruit, et qu’il faut parfois du temps pour vérifier la bonté ou la malice de ce que nous faisons !
Il reste une dernière ambiguïté à éclaircir. « Ce que dit la bouche c’est ce qui déborde du cœur ». On pourrait croire qu’il suffit de bien parler ou de bien agir pour être bon. Mais c’est alors confondre la cause et l’effet ! Ce n’est pas parce que le fruit est bon que l’arbre l’est, c’est parce que l’arbre est bon que le fruit l’est ! Si l’on veut changer de vie, c’est sur le cœur que nous devons agir ! Nos bonnes actions ne sont pas une garantie, mais un encouragement ; nos mauvaises actions ne sont pas une condamnation mais un avertissement. Même si nous ne sommes pas encore en carême, l’évangile que nous venons d’entendre est bien une invitation à la conversion et à la garde du cœur. Jésus nous rappelle que nous sommes des disciples et non des maîtres, que quel que soit ce qui ne va pas autour de nous, c’est d’abord en nous que nous devons porter nos efforts.
Comment alors changer nos cœurs ? Saint Paul dans la deuxième lecture nous en donne le principe : être ferme et inébranlable dans notre attachement au Seigneur. Bien souvent le péché révèle un cœur qui n’est pas suffisamment tourné vers Dieu. Tout est bon pour se défaire de nos mauvaises habitudes, mais ce qui est le plus puissant, c’est de chercher à aimer d’un amour qui se donne dans la générosité et l’engagement. C’est en considérant la place de Dieu dans nos relations qu’elles s’adoucissent, c’est en préférant ce qui dure à ce qui passe que nous nous enracinons dans le Seigneur et que notre cœur trouve le trésor qui nous est promis.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Miroir de la Sainteté de Dieu, qu’elle nous garde dans l’humilité pour que nous puissions accueillir l’appel à la conversion. Refuge des pécheurs, qu’elle nous encourage à prendre une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur. Mère du Bel amour, qu’elle fasse battre nos cœurs au rythme du cœur de Dieu pour que nous puissions demeurer en Lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.