Père Charles Mallard-Les Dupont dans le désert
Les Dupont dans le désert
18° Dimanche du Temps Ordinaire – Année B
Ex 16.2-4 12-15 ; Ps 77 (78) : Ep 4.17.20-24 ; Jn 6.24-35
« Frères vous ne devez plus vous conduire comme les païens ». On comprend aisément la remarque de saint Paul aux Éphésiens, quand on la situe dans le contexte de l’époque. Mais il faut reconnaître que cette invitation est toujours pertinente, même si deux mille ans d’histoire chrétienne ont rendu peut-être moins courant le paganisme. Qu’est-ce que l’apôtre reproche aux païens ? De se « laisser guider par le néant de leur pensée ». Mais pourquoi leur pensée est-elle vaine ? Parce qu’ils vivent selon l’homme ancien « corrompu par les convoitises qui entrainent dans l’erreur ». Ainsi, alors que tout sage sait qu’il faut se laisser conduire pas sa pensée plutôt que par ses passions qui sont éphémères et donc décevantes, lorsque la convoitise corrompt la pensée, quand les désirs induisent en erreur, celui qui croyait échapper aux caprices des passions se retrouve guidé par les erreurs que produisent ces mêmes passions.
C’est une situation qui rappelle celle des Dupont dans le désert : ils rejoignent des traces et se réjouissent de retrouver ainsi une piste. Mais comme ils tournent en rond et que ce sont leurs propres traces qu’ils ont rejointes, plus ils sont rassurés, moins ils sont sortis d’affaire ! C’est l’image de l’erreur qui se nourrit elle-même et aggrave la situation. Le récit de l’Exode comme le dialogue qui inaugure le discours du pain de vie, nous donnent l’exemple de pareils pièges.
D’abord il y a la récrimination du peuple dans le désert. On comprend que la situation est difficile, alors le peuple regrette le temps où ils étaient esclaves : au moins, disent-il les marmites étaient pleines de viande et le pain abondant. Serait-on devant un dilemme philosophique classique où l’on se demande s’il vaut mieux une liberté difficile ou un esclavage confortable ? Sauf que le peuple regrette un temps qui n’existait pas ! Quand ils étaient en Égypte les marmites n’étaient pas pleines et le pain n’était pas abondant ! Ils étaient accablés de travail et quand ils protestaient on le rendait plus pénible ! Le premier piège, c’est la nostalgie, les faux souvenirs. C’est regretter un temps qui n’existait pas ; croire que le passé était doux sous prétexte que le présent est dur. Alors forcément, plus on regrette la douceur imaginée, plus il est difficile de supporter les difficultés. Le chrétien sait, ou devrait savoir, que le paradis est devant lui et non pas derrière lui ! Et comme le montre le récit de la manne, ce qui fait tomber dans le piège de la nostalgie c’est le manque de confiance en Dieu.
Et cela nous amène à une deuxième situation, celle de l’évangile. On se souvient – c’était la lecture de la semaine dernière – que Jésus vient de nourrir 5 000 hommes avec 5 pains et qu’il est resté 12 paniers. On pourrait penser que ceux qui ont assisté et profité de cette multiplication des pains restent impressionnés par l’aventure. Sauf que, quand Jésus leur propose de croire en lui, ils demandent un signe … et comble d’ironie ils évoquent le signe de la manne, c’est-à-dire du pain miraculeux. Ainsi, ils attendent ce qu’ils ont déjà eu. Voilà un nouveau piège du type des Dupont dans le désert : celui de la conditionnalité. Quand on pose des conditions au Seigneur, il y a de fortes probabilités qu’on ne soit jamais satisfait. Le chrétien ne décide pas ce qui vient de Dieu, il s’efforce de le reconnaître. Car, comme le montre l’histoire de ceux qui ont profité de la multiplication des pains, ce qui fait tomber dans le piège de la conditionnalité c’est le manque de reconnaissance du don de Dieu.
Enfin, il y a un troisième piège qui fait tourner en rond. Il apparait dans le dialogue que rapporte l’évangile. Les gens semblent de bonne foi : « que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » demandent-ils. Jésus leur répond qu’ils doivent croire, ce qui n’est pas le travail le plus difficile du monde, pourtant ils réclament un signe et demandent « quelle œuvre vas-tu faire ? ». Mais alors, qui doit agir ? Est-ce l’homme qui fait pour Dieu ou Dieu qui fait pour l’homme ? Ils inversent la charge et exigent ce qu’ils doivent. C’est le piège de la confusion où l’on attribue à l’homme l’œuvre de Dieu et qu’on exige de Dieu qui fasse l’œuvre des hommes. Attendre de Dieu qu’il agisse à notre place ne peut créer que de la déception. Au contraire, pour sortir du piège de la confusion, il faut rester disponible à la Parole de Dieu.
Ne plus se conduire comme des païens, cela signifie éviter de tourner en rond comme les Dupont dans le désert. C’est éviter le piège de la nostalgie en grandissant dans la confiance en Dieu ; c’est éviter le piège de poser des conditions au Seigneur en sachant reconnaître ce qu’il nous donne ; c’est éviter le piège de la confusion en restant disponible et sa Parole.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Consolatrice des affligés qu’elle renforce notre confiance en Dieu ; Secours des chrétiens qu’elle nous encourage à reconnaître le don de Dieu ; Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à rester disponibles à la Parole pour que nous puissions demeurer en Dieu comme il demeure en nous dès maintenant et pour les siècles des siècles.