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Père Charles Mallard-Regarder la bonne personne

11 février 2024

Regarder la bonne personne

6° dimanche du Temps Ordinaire – Année B

Lv 13,1-2.45-46 ; Ps 31 (32) ; 1 Co 10,31-11,1 ; Mc 1,40-45

L’histoire que nous rapporte saint Marc dans l’évangile de ce jour est assez dérangeante. Bien sûr, dans une lecture un peu rapide, c’est une belle histoire, celle d’une guérison, un pauvre homme que Jésus sort de sa misère. Une souffrance qui s’arrête, c’est toujours une bonne nouvelle. Mais si on prend le temps de faire attention au texte, si l’on est attentif aux détails, si l’on prend au sérieux les paroles qui nous sont rapportées, alors il faut bien remarquer qu’il y a quand même quelques ombres au tableau.

C’est que le lépreux est loin d’être parfait. Ce n’est pas parce qu’il souffre qu’il n’a rien à se reprocher et qu’il serait un modèle de foi. A vrai dire, je dois confesser qu’il m’agace. Et si j’en crois l’évangile, il semble que Jésus rejoigne ce sentiment. Certes, la traduction liturgique a choisi de lire : « saisi de compassion », mais il y a d’autres manuscrits qui disent : « Irrité, Jésus étendit la main ». De la même manière, après la purification, la traduction édulcore un peu le texte original. Au lieu de « fermement, Jésus le renvoya », il faudrait lire « le rudoyant, il le chassa » ou encore « Jésus le gronda et le jeta dehors ». Même en gardant la version adoucie, nous pouvons comprendre qu’il y a un certain nombre de choses qui ne sont pas très recommandables dans l’attitude du lépreux. D’abord il s’approche de Jésus, alors qu’il aurait dû se tenir à l’écart. Sa maladie est contagieuse, veut-il la transmettre au Seigneur ? Ensuite sa prière est un peu manipulatoire : « si tu le veux, tu peux me guérir », c’est presque un chantage, comme s’il disait, est-ce que tu veux que je reste lépreux ? Enfin, Jésus lui demande de se taire et d’aller faire constater sa purification en offrant ce qui est prévu par la Parole de Dieu, et lui, au lieu de se taire, va en parler à tout le monde … se dispensant sans doute du sacrifice prescrit. Non, vraiment, l’homme n’est pas la victime innocente des malheurs du monde, et si l’on peut comprendre le désarroi de sa situation, est-ce que la souffrance autorise vraiment à faire n’importe quoi, n’importe comment ?

Pourtant, en se focalisant sur le lépreux, nous passons à côté de l’essentiel. Car l’évangile n’est pas là pour nous parler de lui, mais de Jésus ! Au lieu de regarder le lépreux, nous devons plutôt regarder le Seigneur. Donc l’homme est imprudent de s’approcher de Jésus, mais Jésus le touche. On le met en danger, mais il ne fuit pas, il ne se dérobe pas. Au contraire, il s’implique. Le Seigneur ne se laisse pas arrêter par nos imprudences, il s’engage avec nous. Il nous révèle ainsi que ce n’est pas l’impureté qui se communique, mais la sainteté. Il ne devient pas impur parce qu’il a touché un homme impur, mais l’homme devient pur, parce que lui, le Saint, le Pur par excellence, l’a touché.

De la même manière, on lui dit « si tu le veux, tu peux me purifier », mais Jésus répond « je le veux, sois purifié ». S’il est injuste de prétendre que la maladie est voulue par Dieu, le Seigneur ne se laisse pas arrêter par nos injustices. Jésus n’est pas susceptible, mais il pense d’abord au bien de l’autre. Ce qui lui importe, ce n’est pas la précision métaphysique d’une prière, mais la situation de celui qui prie. En disant « je le veux, sois purifiée », il révèle même la volonté de Dieu qui est que nous soyons tous purs. Enfin, parce que l’homme ne l’écoute pas, Jésus se retrouve embarrassé et ne peut plus entrer ouvertement dans une ville. Lui qui est sorti de bon matin de Capharnaüm pour pouvoir parcourir la Galilée et annoncer l’évangile, il est obligé de se retirer dans un endroit désert. Pourtant de partout on vient à lui. Il peut continuer sa mission, même si ce n’est pas de la manière qu’il avait prévue. Jésus s’abandonne à la providence, confiant dans la puissance de l’Évangile qui rayonne et attire au-delà des efforts que nous faisons.

Dans la lettre aux Corinthiens, saint Paul nous conseillait d’imiter le Christ. Alors prenons le temps de le contempler. Déjà pour réaliser combien son amour nous rejoint, comme il a rejoint le lépreux, sans éviter nos imprudences, sans s’offusquer de nos injustices, sans s’épargner nos paresses ou nos désobéissances. Contemplons-le et imitons-le en acceptant de nous engager, « nous adaptant à tout le monde » ; en demeurant fidèles au cœur de Dieu « sans rechercher notre intérêt personnel » ; en restant confiants dans la puissance de celui qui veut que « tous soient sauvés ».

Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Consolatrice des affligés qu’elle nous encourage à imiter la générosité du Seigneur dans nos engagements. Refuge des pécheurs qu’elle nous guide pour que notre témoignage reste attentif à imiter la bonté de Dieu. Etoile du matin qu’elle nous apprenne à imiter la disponibilité du Christ en laissant rayonner le cœur du Père, pour que nous puissions servir la gloire de Dieu et partager sa vie, dès maintenant et pour les siècles des siècles.

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