Père Charles Mallard-Faire taire l’esprit impur
Faire taire l’esprit impur
4° Dimanche du Temps Ordinaire – Année B
Dt 18, 15-20 ; Ps 94 (95) ; 1 Co 7, 32-35 ; Mc 1, 21-28
Nous voici donc invités à Capharnaüm, au début du ministère public de Jésus, alors que sa renommée commence à se répandre en Galilée, tant à cause de sa manière d’enseigner, que de cet épisode spectaculaire où il chasse l’esprit impur qui tourmentait l’un des assistants. « Tais-toi ! Sors de cet homme » a dit le Seigneur, et l’esprit est sorti de cet homme, non pas en silence mais avec un grand cri. Pourtant le plus grave n’est pas tellement cette vocifération de l’esprit impur que l’on peut regarder comme une capitulation désespérée et hargneuse, le plus grave serait que ses paroles continuent de résonner dans nos cœurs, comme s’il n’y avait que le ton et l’intention qui étaient à réprouver. Si Jésus a ordonné « tais-toi ! » c’est que tout ce qui a été dit était faux et dangereux. L’esprit est à considérer comme l’un de ces faux prophètes contre lequel le Deutéronome nous mettait en garde. Comme toujours en la matière, le diable est dans le détail, et sous l’apparence d’une vérité plausible, il n’y a une approche tordue, dont il faut se méfier. Faisons-donc taire cet esprit impur en prenant le contrepied de tout ce qu’il a dit.
Tout d’abord il y a une sorte de défiance, de mise à distance « que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? ». En grec le titre même est suspect, il faudrait le traduire par Jésus Nazarénien : la traduction française a rajouté une préposition qui n’est pas dans le texte grec. Ce qui est dommage, parce que dans tout le Nouveau Testament il n’y a que le démon de Capharnaüm qui appelle Jésus de cette manière. Il ne s’agit donc pas d’un rappel de son origine, mais d’une sorte de mépris, peut-être même une manière d’insulte. La première attitude à éviter est cette méfiance hostile. Au contraire, l’étonnement devant Jésus devrait nous rapprocher de lui, nous faire découvrir à quel point nous sommes concernés. Il y a tant de manières de se tenir à distance de l’évangile. En ne s’y intéressant pas, en en faisant quelque chose d’inaccessible, ou en le considérant comme une simple curiosité littéraire ou culturelle. On ne peut pas rester objectif devant l’évangile, pas plus qu’on ne peut rester objectif devant la parole de ceux qu’on aime ! L’expression de l’esprit impur dit littéralement « qu’y a-t-il entre toi et nous ? », alors que nous devrions dire, comme saint Paul sur le chemin de Damas : « Seigneur que veux-tu que je fasse »
Ensuite il y a de la suspicion : « Es-tu venu pour nous perdre ? » … et spontanément nous pensons que, oui, Jésus est venu perdre les esprits impurs. Mais si nous nous tenions dans la synagogue à ce moment-là, nous aurions vu un homme énervé dire « es-tu venu pour nous perdre ? » et nous nous serions peut-être posé la question pour nous. Si Jésus n’enseigne pas comme les scribes, est-ce pour nous détourner de la loi ? Non ! Jésus n’est venu pour perdre personne mais pour sauver tout le monde. Comme il est facile de décliner, sans doute plus calmement, la question du démon de Capharnaüm, chaque fois que l’on se demande à quoi sert la vie chrétienne. Est-il venu pour nous apprendre à vivre ensemble, ou à vivre mieux ? L’évangile est-il là pour que nous soyons heureux ? La prière sert-elle à surmonter les difficultés ? Tout cela n’est pas faux, mais c’est très réducteur ! Ce qui est en jeu, c’est notre salut, non seulement la vie éternelle mais la plénitude de ce que nous sommes ! Plutôt que de s’interroger sur l’utilité de la foi, nous devrions réaliser, comme saint Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ».
Enfin il y a de l’arrogance : « je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu ». Dans l’évangile de Marc, il n’y a que les démons qui prétendent savoir qui est Jésus. Et le titre « le Saint de Dieu » est une sorte de pléonasme. On le retrouve une seule autre fois dans la bouche de Pierre, encore y a-t-il de nombreuses variantes du texte selon les manuscrits. Bien sûr ce n’est pas faux, mais c’est un peu exagéré, surtout dans ce contexte. C’est comme si le démon de Capharnaüm prétendait opposer à l’autorité de Jésus sa propre autorité, et utilisait un titre pompeux pour se moquer de lui. Encore une fois, il faut se méfier de la vérité brandie en étendard pour s’imposer. Le savoir ne donne pas un privilège mais une responsabilité, c’est-à-dire une mission. Et l’on ne s’approche pas des mystères de Dieu par la prétention mais par l’humilité. Si nous avons une affirmation à faire devant Jésus, c’est plutôt celle de saint Thomas au soir de Pâques : « mon Seigneur et mon Dieu ».
En intimant à l’esprit impur de se taire dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus nous avertit de ne pas l’écouter, de ne même pas y prêter attention si ce n’est pour s’en éloigner. Au lieu de se tenir à distance de l’Évangile, acceptons que l’étonnement nous conduise à la disponibilité ; au lieu de s’interroge sur le projet de Dieu, prenons la main qu’il nous tend pour nous sauver ; au lieu d’étaler notre connaissance, entrons dans l’humilité de la contemplation.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Imitons sa disponibilité au message de l’ange, en reprenant ses paroles à l’Annonciation « que tout se fasses en nous selon sa parole ». Unissons nos cœurs au sien en priant le Magnificat « car le Seigneur a fait pour nous des merveilles, saint est son nom ». Entendons son invitation aux noces de Cana : « faites tout ce qu’il vous dira » pour que nous puissions demeurer en Dieu comme il demeure en nous dès maintenant et pour les siècles des siècles.